Nantes, le 17 janvier 2019

Quand les impôts tanguent, les assos trinquent

Suppression de l’impôt sur la fortune, hausse de la CSG, prélèvement à la source : ces trois mesures fiscales ont fait chuter les dons aux associations. À Nantes, plusieurs sont touchées. D’autres moins.

Sueurs froides aux Apprentis d’Auteuil. La fondation catholique, engagée dans la protection de l’enfance, prend de plein fouet la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF)(1). « Nationalement, on accuse une baisse des dons de 65 % en 2018 par rapport à 2017 ! On ne pensait pas en arriver là. C’était vraiment notre hypothèse la plus pessimiste, confie Christophe Langlais, responsable régional des mécénats et des partenariats, à Rezé. Dans notre grand Ouest, on avait, par exemple un certain nombre de donateurs assujettis à l’ISF qui s’investissaient directement dans nos programmes d’insertion de jeunes sans emploi, sans formation. Avec des apports considérables, de 1 500 à 50 000 €. »

Les petits dons à la trappe

Il y a eu des défections, puisque les dons permettaient des défiscalisations importantes dans le dispositif de l’ancien impôt sur la fortune. « Potentiellement, nous ne pourrons plus accompagner autant de jeunes. Car nous fonctionnons avec 47 % de fonds privés et, parallèlement, les aides de l’État n’augmentent pas. » Les besoins, si. « C’est la double peine. C’est d’autant plus dur que ce sont les pouvoirs publics qui nous confient ces missions d’accompagnement. »

Disparition de l’ISF, hausse de la CSG (+ 1,7 % depuis le 1er janvier 2018), mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : ces trois changements fiscaux, opérés en une année seulement, ont provoqué des dommages collatéraux pas tout à fait imprévus : ainsi, dès décembre 2017, la députée nantaise (MoDem) Sarah El Hairy alertait, au Palais Bourbon ( lire ci-dessous ).

Diminution de 10 % des dons

En ce début d’année 2019, des fondations et des associations font les comptes et s’arrachent les cheveux. «  Du 1er novembre 2018 au 15 janvier 2019, nous constatons une diminution de 10 % des dons par rapport à la période précédente, déplore François Barillot, responsable départemental des Restos du cœur. Pour l’heure, ce n’est pas encore une véritable inquiétude. Mais ça pourrait le devenir si la baisse atteint 15 à 20 %. » Pour cet observateur, le prélèvement à la source a joué un rôle non négligeable dans cette chute de la générosité : « Il a généré de l’incertitude, donc de l’attentisme de la part des particuliers. Et je ne crois pas au rattrapage une fois le système bien mis en place. »

Autre signal noir, constate-t-il : « La quasi-disparition des petits dons, de 20 à 30 €. Pour moi, c’est le symptôme de l’appauvrissement des gens qui étaient au bord du gouffre et ont basculé. Ils n’ont plus les moyens de donner. C’est inquiétant, parce que nous avons toujours été l’association des petits donateurs qui se reconnaissent en nous. »

Les plus grosses structures traverseront sans doute la tempête, espère-t-il. « Mais les plus petites auront du mal à s’en sortir et pourraient rester sur le carreau. »

Des activités d’insertion menées par les Apprentis d’Auteuil auprès de jeunes éloignés de l’emploi pourraient être touchées par la baisse des dons. | (c) Laetitia Notarianni/Apprenti

 

Optimisme, malgré tout

De fait, confirme une « grosse » structure aux reins solides, la Fondation de France, par la voix de Yann Desdouets, délégué pour le Grand Ouest : « On va pouvoir puiser dans nos réserves pour limiter l’impact. Mais nationalement, on a une baisse de 60 % du fait de la suppression de l’ISF. Heureusement, notre budget ne repose pas uniquement sur ces donateurs. Dans la région, on devrait avoir 10 à 20 % de recette en moins. » Au-delà de l’insécurité fiscale, selon lui, « le climat anxiogène consécutif aux Gilets jaunes ne favorise sans doute pas l’acte de donner ».

Pourtant les besoins sont là. Ils sont même en forte augmentation, spectaculairement parfois alerte le Secours populaire, qui a vécu un mois de décembre difficile avec un afflux inédit et massif de gens en grande précarité. « On trouvera de la générosité, veut croire Yann Desdouets . Nous sommes optimistes. Peut-être parce que chaque jour, on voit les équipes de professionnels du social qui se bougent, dans des conditions difficiles, en gardant de belles énergies. » Générosité des acteurs, générosité des donateurs, même combat ?

(1) Auparavant, ceux qui payaient l’ISF pouvaient bénéficier d’une réduction fiscale en cas de dons à des fondations reconnues d’utilité publique, des établissements de recherche, des entreprises d’insertion, des entreprises adaptées employant des personnes handicapées, etc

Baisses des dons : celles qui s’en sortent

L’érosion de la générosité ne touche pas toutes les associations caritatives, loin s’en faut. À la Ligue contre le cancer, Emmaüs, ou à la Banque alimentaire, la baisse des dons ? Connais pas…

Pour ces deux dernières associations, l’explication tient tout simplement au fait que les dons financiers n’occupent qu’une place marginale dans leur fonctionnement.

Rappelons que la Banque alimentaire est une structure intermédiaire qui vient alimenter en nourriture qu’elle collecte auprès des particuliers d’autres associations caritatives : Croix-Rouge, Saint-Vincent de Paul et toutes les autres associations indépendantes.

Versements des particuliers

Les versements financiers des particuliers existent cependant. Mais ils se limitent à une cagnotte annuelle d’environ 3 000 €. Le contexte est le même pour Emmaüs, qui vit uniquement grâce aux apports de matériels. Comme pour la Banque alimentaire, Emmaüs continue d’accueillir le flux habituel d’offres généreuses. « Nous avons la chance d’avoir des donateurs qui perpétuent la tradition, des gens qui continuent à nous faire confiance pour revaloriser les objets », rappelle cette responsable au centre de Bouguenais.

Le fonctionnement de La ligue contre le cancer, à l’inverse, repose exclusivement sur les versements d’argent de particuliers. Mais ces derniers ne viennent pas de contribuables assujettis à l’ISF.

Un don autour de 52 €

En Loire-Atlantique, le don se situe autour de 52 €, rapporte Sophie poireaux, directrice départementale de la ligue. Une directrice a priori plutôt satisfaite du bilan 2018, même si les comptes du dernier trimestre ne sont pas encore clôturés.

« Depuis quelques années, nous connaissons une légère érosion du nombre de nos adhérents (nom donné aux donateurs à partir de huit euros) . » Une baisse enrayée grâce au développement du digital, grâce auquel le comité de Loire-Atlantique serait parvenu « à capter un nouveau profil de donateurs ».

 

Résultat : 2018 devrait probablement rester sur la même tendance que 2017, pronostique Sophie Poiroux.

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